Lettre d'un lecteur

Chers compatriotes,
Tovaritchi de toutes les Russlavies,

O tempora, o mores, dirait un grand homme d'Etat de l'Antique en voyant ce qui arrive aujourd'hui en Russlavie démocratique. Bien des affres tombent sur nous, mais la dernière des catastrophes est la plus horrifiante. Comme sûrement il est connu dans tout le pays déjà, le Premier Ministre en exercice, le Grand-duc Michel, a été la victime d'un lâche attentat. Son automobile est tombée dans un vil guet-apens, tendu par une poignée de criminels, au cours de la journée d'hier. Funeste présage! Mais bien que certains font d'ors et déjà tonner la marche funèbre, rien n'est encore joué. L'Amiral Sebastopol n'est pas encore mort, et c'est tant mieux pour nous.

Car oui, le Grand-duc est certes un junker, il est certes un officier tsariste, il s'est révélé être un admirable démocrate, apte à mener la Russlavie vers son grandiose futur. Je rends hommage à ce gouvernant hors du commun. Malgré ses idées réactionnaires, rétrogrades à plus d'un égard, il a réussi à troquer l'uniforme du seigneur de guerre pour la non moins glorieuse redingote civile de l'homme d'Etat. L'Amiral a guidé sa faction guerrière vers un avenir parlementaire, il a tenu à l'écart les exposants extrémistes de la vieille garde okhranesque. Il constitue maintenant un rempart pour la jeune démocratie, une muraille inébranlable la protégeant des appétits putschistes de l'armée.

Si cet homme disparaît que nous restera-t-il? La Constitution aura perdu un de ses défenseurs potentiels. Plus rien n’empêchera un général goguenard de lancer ses Tcherkesses sur la Capitale et de saigner le peuple à son profit. C’est pour cela, citoyens de toutes les Russlavies, qu’il nous faut maintenant s’unir autour du Gouvernement décapité, et d’être vigilant, car dans l’ombre se tapissent les ennemis de la patrie.

Je ne suis pas seul à m’effrayer devant le zèle de Dmitri Igorevitch Niviakov à se doter d’une autorité supra-militaire, concentrant dans ses seules mains les compétences gouvernementales et militaires. Vise-t-il à établir la dictature de la soldatesque ? Et quant est-il de ce sombre Sieur Krasschenko ? C’est un aristocrate de la pire espèce, revenu dans notre pays après l’avoir fui pendant la révolution. On se croit en plein règne du cruel Kolia, lorsque les boyards replets satisfaisaient leur soif d’or sur la masse paysanne. A peine débarqué, cet industriel d’opérette s’est employé à publier des décrets fictifs, déclarant par exemple que son duché (inexistant après la réforme de l’administration provinciale par le Gouvernement provisoire) allait observer une « neutralité permanente ». J’annonce aux lecteurs de l’Egalité qu’en tant que député menchevik de la province de Piter-Orenburg, je m’appliquerai sans relâche à la sauvegarde des acquis de la révolution. Plus jamais nous verrons ces néo-feudataires diriger les provinces et diviser le peuple russlave. Ninjovkaïa est un nom taché de sang, taché du sang russlave, et ce n’est pas pour rien que nous l’avons fait disparaître lors de l'avènement du nouveau régime.

Chers compatriotes,
Tovaritchi de toutes les Russlavies,
Tovaritchi des conseils de soldats,

Je saisis la plume en cette occasion, à la fois heureuse et potentiellement dangereuse, pour vous interpeller, camarades, au sujet des profonds fossés qui agitent notre société, et qui détournés par des individus désaxés, peuvent mener la jeune démocratie russlave à sa chute.

Alors que l'Amiral Sebastopol est en voie de guérison et que le pays s'est fédéré en une salutaire union nationale, les détracteurs réactionnaires du corps franc "Russlavie et Chicane" rendent les rues peu sûres pour les jeunes filles. Ce que l'on appelle si faussement "parti", n'est en réalité qu'un conglomérat de criminels de droit commun, de cadets prépubères débilités, et d'une poignée richissimes patrons affameurs du peuple. Menée par le généralissime aliéné et putschiste Dmitri Igorevitch Niviakov, cette horde sanguinaire s'apprête à fondre sur la révolution pour la détruire dans son ensemble. Soldats, ouvriers et paysans, gare à vous! Le loup cherche à entrer dans votre isba!

Camarades, vous avez déjà été associés dans la répression de l'insurrection militaire de ce mois-ci par le Gouvernement bourgeois, trop faible et ne disposant pas de régiments fidèles, mis à part la soldatesque palonaise, armée, vêtue et nourrie par la patronaillerie kadette! Forts de votre expérience, vous ne devez pas vous soumettre aux caprices de la clique des officiers tsaristes!

Tovaritchi, si de nouvelles fantaisies perfides agitent le traître Niviakov, la justice et l'ordre vous commandent de l'abattre une fois pour toutes! Soldats de la révolution, détruisez ce symbole de l'Ancien Régime, ce danger palpable qu'est Niviakov le Chicaneur!

Une lettre arriva à la rédaction du journal...

Etrange histoire, Rouge et Blanc,
Uni dans le sang,
Se retrouveront dans les mêmes rangs,
Pour vaincre cependant,
Le Grand G pas fringuant !

Mais loup noir,
Révèlera l'histoire,
De ces pauvres ahurient,
Afin de libérer la brebis.

Chers compatriotes,
Tovaritchi des conseils de soldats,

Je m'adresse à vous, glorieux gardiens de la Révolution, pour vous féliciter de votre courage et vous communiquer les directives suprêmes que nous donne la Démocratie russlave fraîchement acquise.

Je vous congratule, héros militaires et populaires, défenseurs de la terre sacrée de tous les Slaves, pour votre récente victoire contre le traître Niviakov, ce Catilina russlave, terrassé par vos soins comme le fut le dragon par Saint-Georges. Aidé par vos bras vigoureux, tovaritchi soldats, j'ai pu organiser la mise à mort de cette immonde crapule.

Alors que ce fourbe serpent tentait de dévorer les enfants de la Constitution, alors qu'il lançait ses régiments cosaques et kaukasiens contre la Capitale, vous avez refusé d'obéir et vous êtes restés fidèles au Gouvernement démocratique. Vous avez désarmé vos officiers putschistes, vous avez arrêté vos camarades félons, et vous avez sauvé le Régime. Gloire à vous! Gloire à l'armée constitutionnelle!

Vous avez prouvé à la Nation que vous êtes des hommes fiables, sur lesquels le parlementarisme peut se reposer en toute confiance.

Mais attention, camarades! Car si le monstre réactionnaire est décapité pour l'instant, une autre bête féroce de dresse contre le pays tout entier! Oui, j'ai nommé l'ogre spartakiste et anarchiste, qui attend dans l'ombre pour fondre sur les bons Russlaves!

Tovaritchi des conseils de soldats, armez-vous contre ce danger qui partout s'infiltre, qui assassine les serviteurs consciencieux du Régime, qui exproprie vos parents moujiks de la terre offerte par la Révolution et la Démocratie. Combattez, luttez contre le cyclope fielleux qui cherche à détruire ce que nous avons obtenu au prix de notre sang, du sang de nos frères et de nos soeurs!

Tovaritchi des conseils de soldats, restez fidèles au Régime de Gornograd, et écrasez les ennemis de la Démocratie!