Délégation du Gouvernement Provisoire

Le train s'élançait lentement à travers les étendues désolées de l'immense plaine russlave. Il y avait trois jours de cela, le convoi avait quitté la Commune de Navolstov, controlée par le Conseil Révolutionnaire de Medjelev.

A Novolensk, Mai-Maievski avait observé avec détachement les foules prolétaires, les syndicats dans les rues, la vile canaille prenant d'assaut les quais. Rien de tout cela ne lui était étranger; depuis la chute de Nicolas Ier, la Russlavie avait eu son lot de débordements populaires, de rues en révolte, de plèbe agitée et frondeuse.

Maintenant, le train roulait à travers des territoires qui n'étaient plus contrôlés par Gornograd que ci et là. A dire vrai, on ignorait totalement quelles villes, quels districts étaient encore fidèles, ou érigées en "républiques" satellites de Svetivostok.

Mai-Maievski regardait paresseusement la campagne défiler sous ses yeux. Le pays était dans un triste état; les villages incendiés succèdaient aux bourgs dévastés. Des dizaines de champs étaient ravagés, ou laissés à leur sort, les récoltes destinées à pourrir sur pied.
Qui était coupable de ces déprédations ? Inutile de chercher des coupables. La Russlavie connaissait bien la guerre civile, et en cette matière, l'on sait bien que chaque camp rivalise de crimes et de rapines.

Aux razzias des cosaques impériaux, les républicains avaient surement répondu par des crimes en tout genre, quoi qu'en dise le Prince Godinnik, retranché là-bas à l'extrême-orient, dans sa ville.

Lassé de contempler le pays morne et détruit, Stepan Iossifovitch tourna son attention à l'intérieur de l'élégant wagon luxueusement décoré qui les conduisait, lui et Malakanine, jusqu'à Svetivostok.

Malakanine, installé dans un large sofa aux dorures écaillées, était plongé dans un livre. Plus loin, deux conseillers d'Etat discutaient politique en se gavant de petits pains.
Aux extremités du wagon, deux soldats montaient négligemment la garde.

Stepan Iossifovitch soupira, se servit un verre de vodka, et se plongea dans l'examen de titres de propriété concernant des terres près de Dourakovo.
Vivement Svetivostok, que ce voyage interminable s'achève...

La délégation du Gouvernement Provisoire de la République Russlave de Gornograd était attendu avec impatience à Svetivostok. La gare de la Perle de l'Orient était en train d'être préparée pour recevoir ces émissaires de la soeur de l'Ouest. Les drapeaux de l'Union des Républiques Russlaves flottaientt dans l'édifice mis en pavois...

Les agents de quai de la gare étaient faisaient le pied de grue et répétaient le protocole qui leur avait été communiqué par le Palais de la République. Maï-Maïevski et son acolyte devaient recevoir un accueil digne de représentants de nation étrangère, et non pas celui d'un représentant de l'une des Républiques de l'Union. Le pouvoir des hôtes accueillant la délégation devait pouvoir être ressenti ostensiblement et une certaine déférence était donc attendue...

Le train entra en gare, où les ordres de Godinnik avaient été respectés à la lettre.

Lentement, le convoi finit par s'immobiliser à quai. Un sbire ouvrit la porte du wagon, puis s'effaça devant Mai-Maievski et Malakanine, qui sortirent, l'air un peu surpris par le déploiement de solennité autour d'eux.

Flanqués d'une haie d'honneur, la délégation s'avança vers les fiacres qui les attendaient, avec la mission de les conduire vers le Palais Zlemskaia, où les "gouvernements" de l'Union des Républiques attendaient.

Pour plusieurs personnes, tant parmi la délégation que dans la foule, l'histoire se répètait étrangement; ils n'oubliaient pas qu'un an et demi plus tôt, le même genre de délégation avait rejoint Svetivostok afin d'y obtenir le ralliement de Godinnik à la Monarchie de Novembre.

Les gens de l'Ouest furent donc accueillis comme cela avait été prévu.

Igor Latchenko, fonctionnaire du Palais Zlemskaïa, avait été délégué pour recevoir Maï-Maïevski et celui qui l'accompagnait, dont on ne savait pas grand chose à vrai dire... Il salua donc les deux hommes chaleureusement avant que la délégation ne s'engage sous la haie d'honneur des sabres dressés des Gardes de la République.

Les véhicules automobiles portant les drapeaux de l'Union des Républiques Russlaves et celui de l'ancien Empire de Russlavie (aucune nouvelle ne parlait de changement de drapeau, cela en disait long sur les changements à venir...) s'engagèrent donc dans les rues de la capitale des Républiques d'Orient. Le long des axes de circulation les badauds regardaient ce convoi avancer lentement tantôt avec étonnement, tantôt d'un oeil distrait mais intéressé. À Svetivostok on croyait volontiers que le reste du monde avait disparu avec la sécession...

Les véhicules passèrent par la rue de la Liberté, puis le Boulevard de l'Orient d'où l'on pouvait voir la Citadelle maritime, avant de s'engager sur le splendide Boulevard de la République -ancien Boulevard du Tsar-, avant de passer devant la Cathédrale Saint Léon puis de tourner vers le Palais Zlemskaïa qui s'imposait en centre-ville par sa beauté architecturale et par la magnificence de ses dimensions.

Là encore des Gardes Républicains étaient positionnés, et dressèrent leurs sabres et leurs fusils à l'ordre du Colonel Zabroïnov, vainqueur des Cosaques aux frontières de Verstinkia quelques semaines auparavant. Une fois les voitures immobilisées, Leonid Godinnik apparut sur le perron, entouré de cinq autres hommes tous en tenue de cérémonie, représentant les républiques soeurs, émules de Svetivostok:

- Sacha Petrovicth Vaïssili, Représentant de la République de Verstinskia
- Piotr Svenson-Kirinovski, Représentant de la République d'Oufa
- Aleksandr Ekeline, Représentant de la République de Novgorod
- Samson-Jan Verhulste, Représentant de la République de Novaïa Fjordskia
- Ferencz Iapolek, Représentant de la République de Magyar Pockczin

Godinnik regarda ses hôtes fouler le tapis rouge, les laissa monter les quelques marches puis tendit la main à Maï-Maïevski:

- Excellence, au nom de l'Union des Républiques Russlaves, je vous souhaite la bienvenue en Orient! Nous vous attendions et sommes prêts à vous écouter, ne perdons pas de temps

Tous s'engouffrèrent derrière le maître des lieux et les lourdes portes se refermèrent sur les négociations qui promettaient d'être âpres...

Une fois arrivée dans une splendide salle de conseil -"pas aussi belle qu'à Gorno'" souffla Mai-Maievski à Malakanine qui n'en revenait pas - , les deux groupes s'installèrent de part et d'autre d'une longue table.

Mai-Maievski enviait Godinnik. Celui-ci avait toute une ville à sa botte, et les "républiques-soeurs" (de simples satellites fantoches) lui mangaient sans doute dans la main.
Stepan Iossifovitch était réellement admiratif de la manière avec laquelle Godinnik montrait au monde une façade de progressisme et de respectabilité tout en dominant Svetivostok en despote absolu.
Sa police secrète devait être diablement efficace pour étouffer ainsi l'opposition dans le silence le plus total et garantir à Léonid Antonovitch une dictature tranquille sur les populations d'Orient.

Se rendant soudain compte que tout le monde attendait qu'il commence, il pris la parole:

- Prince, je vous transmets les salutations du Gouvernement provisoire. C'est vous qui avez donné le signal de l'insurrection du peuple contre l'odieux tyran. Gloire vous soit rendue.

Après ces flatteries d'usage, Mai-Maievski entra dans le vif du sujet:

- Tout d'abord, en préliminaire à la discussion, j'aimerais que nous soyons bien d'accord sur quelques points:
Votre gouvernement comme le mien sont tous deux des gouvernements révolutionnaires russlaves. Ni l'un ni l'autre n'aspire à former un état distinct de la Russlavie.
Second point; Au cours de cette discussion, nous n'allons pas édicter une nouvelle Constitution pour la Russlavie, mais simplement étudier les modalités de fusion de nos deux pouvoirs, celui de Gornograd et celui de Svetivostok, au sein d'un seul et même Etat; la République Russlave.

Sommes nous d'accord sur ces deux points ?

Sous les ors des plafonds du Salon des Muses, les interlocuteurs de Maï-Maïevski se regardèrent un tantinet interloqués... L'arrogance des kadets de la "capitale" n'avait pas changé...

Après un conciliabule à voix basse avec ses compères, Godinnik s'adressa à l'émissaire de Gornograd non sans un certain détachement:

- Excellence Maï-Maïevski, il va de soi que les aspirations ultimes de nos Gouvernements vont dans le même sens, même s'il est vrai que certains appellent sans doute de leurs voeux de plus amples et surtout plus sincères changements... Aussi, oui, nos Républiques sont Ruslaves...

Godinnik prends le temps de boire un peu de thé puis allume une pipe en terre cuite émaillée, représentant un cheval, avant de reprendre dans un enchaînement d'anneaux de fumée:

- Une bonne pipe est toujours la bienvenue, tout comme une approche raisonnable comme celle qui est la vôtre... Cela dit, qu'entendez-vous par "fusion de nos deux pouvoirs"? Dans quel termes cette chose se ferait-elle? Devons-nous voir par là que Gornograd souhaite à nouveau régenter la vie de tous les russlaves comme au temps de l'Empire déchu et révolu?

Voyant que son interlocuteur devient pourpre (de gêne? de colère?) Godinnik abrège ironiquement, afin de lui laisser la parole:

- Excellence, l'Union des Républiques Russlaves sera favorable à votre intégration si vous le souhaitez, quels seraient vos désidératas?

Dans le fond de la salle on entends des hommes étouffer leur rire et les chuchotements vont bon train... Ici Maï-Maïevski n'est pas en son palais et son pouvoir d'opérette n'a jamais été aussi visible...

Mai-Maievski se concentre sur les papiers devant lui, puis allume négligemment une cigarette, le temps de laisser passer les rires et les commentaires goguenards du ramas de flatteurs serviles qui constitue la cour de Godinnik.

Une fois la colère passée, il lève les yeux vers Léonid Antonovitch et émet un petit rire poli;

- Aha, c'est très amusant. Vraiment. Maintenant, passons aux choses sérieuses voulez-vous.

Il n'est pas question de "régenter" depuis Gornograd, puisque le Gouvernement Provisoire vous propose une fusion, et non une annexion pure et simple, annexion que nous serions d'ailleurs tout à fait en droit de réclamer. Repousser quelques dizaines de Kalmouks affamés n'a pas rendu votre "république" invincible, loin de là. Je suis sur que vous en êtes conscient.

D'ailleurs, à propos de Gorno, cette ville que vous semblez détester, ce n'est même pas sur qu'elle reste la capitale. On parle de la transférer à Murasibirk, le coeur historique de notre Nation.

Stepan Iossifovitch laisse planer l'idée, puis reprend;

- Pour faire bref, voici le marché: Les deux entités républicaines fusionnent au sein du Gouvernement Provisoire Républicain Unifié, qui réalisera une série de réformes démocratiques (comme la réforme agraire) pour instaurer la démocratie dans toute la Russlavie. Dans le meme temps, le GPRU organisera dans les plus brefs délais la tenue d'élections afin de former une Douma constituante qui écrira la nouvelle Constitution.

Stepan regarde rapidement les "rois-clients" de Godinnik, ces pseudo-présidents tout gonflés de leur importance factice, et poursuit:

- Quand à vos... amis, les présidents des républiques-soeurs, ils ne sont pas oubliés; ils seront confirmés par le GPRU comme gouverneurs de leurs provinces respectives, avec les pleins pouvoirs.

Le petit rire feint de Maï-Maïevski résonna brièvement dans la salle, répercutant sa fausseté de manière assez inattendue tandis que l'assistance attendait une réponse

Les allégations de l'émissaire de Gornograd en faisaient rougir quelques uns de colère et d'autres, se sentant plus visés, de gêne... Mais le fait était que Svetivostok n'arrivait pas à la moitié du talon de la botte de Gornograd et de ses intrigants quant il s'agissait de "réguler le pouvoir"...

- Allons, Stepan, nous avons maintes fois travaillé ensemble, parfois l'un contre l'autre, ne tombez pas dans le mépris immérité comme je n'aimerais pas non plus que vous tombiez dans la flagornerie éhontée... Reconnaissez juste que d'autres que vous et moi peuvent aussi avoir le droit de rentrer en politique pour les leurs et leurs convictions...

Godinnik continue tout de go:

- Sachez que vous avez dit là ce que nous voulions entendre: "le Gouvernement Provisoire vous propose une fusion, et non une annexion pure et simple"... Nous dirons que nous n'avons pas entendu la fin de votre phrase qui n'était pas digne de votre savoir-faire politique et politicien... Il fallait que les choses soient claires avant que nous ne nous engagions dans un processus tel que ce que vous nous proposez...

Après un regard vers ceux qui partageaient la table officielle à ses côtés:

- Je sais, Stepan, que vous ne considérez pas ces hommes, mais ne vous méprenez pas en croyant qu'ils sont des pantins: ils ont eu le cran que certains n'ont pas eu et n'auront jamais, en affirmant une opinion tranchée et en s'y tenant envers et contre tout... Et bien sûr que les Républiques Soeurs de Svetivostok auront leur légitimité dans les tractations à venir pour une Nouvelle Russlavie...

Godinnik se tait, attendant une réponse de son interlocuteur, tandis qu'un silence règne dans la salle aux dorures éclatantes: ce duel verbal se terminera-t-il bien?

Du côté gornogradien de la table, les mines se décrispèrent; on était reconnaissant à Godinnik de dénouer quelque peu la tension.

Stepan Iossifovitch interrogea du regard Malakanine; voulait il dire quelque chose ?
L'homme d'Utchenko restant muet, Stepan repris la parole:

- Veuillez me pardonner, Prince, si j'ai pu blesser certains de vos amis par mes mots. Cela ne se reproduira pas; il serait triste que le camp des démocrates se divise alors que tant de périls le menace !

Stepan Iossifovitch se fait visiblement violence quand il s'adresse enfin directement aux sbires de Godinnik:

- Messieurs, je vous prie de m'excuser si j'ai pu vous froisser. Sachez que le Gouvernement Provisoire respecte chaque république-soeur au même titre que Svetivostok pour leur noble lutte contre l'autocratie tsariste.

Il poursuit;

- A mon avis, le peuple russlave aurait intérêt à ce que nous ne marchandions pas d'avantage.

Vous connaissez l'offre du Gouvernement Provisoire: fusion des deux éxécutifs en un, mise en place de la paix intérieure et tenue d'élections constituantes dans les plus brefs délais, ce à quoi j'ajoute le maintien des chefs des Républiques-soeurs dans leurs prérogatives et leurs titres, à titre transitoire, d'ici l'adoption d'une nouvelle Constitution qui sera le reflet de la volonté populaire, puisqu'adoptée par la Douma constituante.

Le Kadet regarde tour à tour tous ces interlocuteurs, et, dans une tentative polie d'associer les hommes des républiques-soeurs au débat, s'enflamme:

- Prince, et vous Messieurs, je viens de vous présenter une occasion unique, celle d'unir tout le peuple russlave dans un même élan vers la démocratie et la République, vers la paix sociale et la liberté des masses. Nous sommes à la croisée des chemins; allons nous nous diviser, nous quereller, ou choisir résolument de prendre nos responsabilités pour forger cette Russlavie nouvelle, démocratique, glorieuse, fière d'elle même, délivrée du carcan de l'Ancien régime ?

Prince, Messieurs, quelle est votre réponse ?

Le Prince prit la parole pour remercier l'orateur:

- Excellence, nous devons en discuter, vous comprendrez bien que la démocratie et la chose publique ne se bradent pas en un mot inconsidéré...

Godinnik et tous les prenant-part à la réunion se virent donc interpelés et amenés à faire un choix crucial rapidement. Tous se regardèrent, se rapprochèrent, échangèrent à voix-basse...

Après quelques minutes qui en semblèrent beaucoup plus, et un silence assez pesant, le conciliabule prit fin. Chacun reprit sa place et Godinnik reprit la parole:

- Excellence, je prends la parole pour exprimer de façon collégiale la décision des représentants des six Républiques d'Orient, dont l'avis est assez unanime. Aussi, au nom des Républiques de Svetivostok, de Verstinskia, d'Oufa, de Novgorod, de Nova Fjordskaïa et de Magyar-Pokczyn les représentants ici réunis acceptent la proposition qui leur est faite par la République de Gornograd et les territoires associés.

Des applaudissements et des sifflets se font entendre mais cessent très vite avant que Godinnik ne continue:

- Excellence, nous serons donc partie prenante dans la réorganisation d'une Russlavie Nouvelle. Nous serons donc présents à vos côtés dans les négociations qui permettront de réunir les conditions de cette création ainsi que ses modalités... Des débats seront menés, nous sommes motivés tout comme les Peuples que nous représentons

- Voilà qui est bien parler !

Afin que cette union soit une réalité, je vous invite à choisir l'un d'entre vous qui entrera au Gouvernement Provisoire comme Vice-Président du Gouvernement aux côtés du Maréchal Romanovsky.

De cette manière, nos deux forces seront pleinement unies pour défendre la République.
A ce propos, je précise que vos forces armées garderont leur individualité à titre transitoire, mais qu'une collaboration inter-commandements sera nécéssaire pour pacifier le pays.

Stepan Iossifovitch écrase sa cigarette dans le cendrier devant lui, puis tend les bras, dans un geste de fraternité:

- Eh, messieurs, n'est il pas l'heure de dîner ? Si nous fêtions l'union des démocrates autour d'un bon repas ? L'estomac reposé, nous pourrons régler les derniers détails.

Dans une atmosphère se détendant, les différents représentants se congratulèrent et les poignées de mains s'échangèrent nombreuses et pleines d'espoir.

Restait à déléguer le pouvoir de l'Union des Républiques Russlaves à l'un des six représentants... Les choses furent vite vues: après un conciliabule bref des cinq représentants des républiques soeurs, ces derniers vinrent annoncer à Maï-Maïevski et à Godinnik que ce dernier serait leur délégué...
Léonid allait devoir retourner à Gornograd.

- Messieurs, je ne puis que vous remercier de la confiance que vous me donnez, et m'efforcerait de faire tout ce qui est en mon possible afin de défendre les intérêts qui sont les vôtres, les nôtres, ceux de tous les russlaves qui se veulent libres et vivant en terre de Progrès! Il est lmaintenant tant de voir les modalités de cette montée à la capitale ainsi que les détails, peut-être pouvons-nous voir cela avant le repas, mais je vais demander des amuse-bouches...

Godinnik était prêt à transiger, mais il souhaitait aussi faire les choses en bonne et due forme, aussi le repas attendrait: chaque chose en son temps, et pour lui le bon temps et le travail ne devait être mélanger avec le plaisir fusse-t-il gustatif...

Un sbire de la délégation vint chuchoter quelques mots à l'oreille de Stepan Iossifovitch. Celui-ci fronce les sourcils, puis congédie le sous-fifre d'un geste brusque. Tout en continuant de discuter avec ses interlocuteurs, il se met à griffoner sèchement un billet empressé, qu'il tend derrière lui. Le sous-fifre s'en empare et quitte la salle d'un pas empressé.

L'assistance a regardé la scène, interloquée; Mai-Maievski s'en explique:

- Veuillez m'excuser. Il semblerait qu'à Gornograd, certains profitent de mon absence pour se laisser aller à des tentations sanguinaires.

Bien, revenons donc à notre sujet; Volontiers, Prince, je suis tout prêt à voir avec vous les modalités... Quelles sont elles, ces modalités ?

Apparement, pour Mai-Maievski, le sujet de l'union des républiques est conclu en bonne et due forme. Il s'interroge; le Prince cherche t il à obtenir des concessions, des sûretés ?

Godinnik, étonné par cette "intermède gornogradienne", répond à son interlocuteur quant à ses interrogations:

- Excellence Maï-Maïevski, j'ai l'honneur de représenter les Républiques de l'Union des Républiques Russlaves, qui prône un certains système étatique, en l'occurrence des Républiques Fédérées... Si nous rentrons au Gouvernement Provisoire, sachez que nous travaillerons à un projet de Nouvelle Russlavie en apportant nos valeurs et nos idéaux. J'espère que les instances du Maréchal ne comptent pas sur nous pour rester passifs et pour valider des décisions qui ne seraient pas sincèrement nôtres...

Les cartes de Godinnik étaient pour le moins clairement posées sur table... Pas de passivité, pas de compromission!
Sur ce, d'amusants et délicieux amuse-bouches furent déposes sur les tables de travail par des greffiers. Le représentant de la République d'Oufa se jeta dessus comme la petite vérole sur la troupe Ninjovskoise...

- Je ne doute pas un seul instant de votre ténacité à défendre vos positions au sein du Gouvernement !

Mai-Maievski ajoute, un sourire en coin;

- De plus, intégrer le Gouvernement républicain permettra peut-être à votre ... mouvement de quitter un peu Svetivostok et d'acquérir une dimension nationale, en vue des élections constituantes.

N'oubliez pas, Prince, que c'est là que se jouera l'avenir de la Russlavie; devant le peuple !

Ceci dit, Stepan, d'un geste leste, parvient à soustraire un petit four à la convoitise affamée de l'homme d'Oufa.
Après lui avoir fait un sort, il allume tranquillement une cigarette.

Mais cette tranquillité n'est qu'apparente. Stepan Iossifovitch se perd en inquiétudes: et si le Gouvernement Provisoire profitait de son absence pour éliminer la famille impériale ?
La veille du Putsch, Romanovsky ne lui a pas caché son intention de supprimer physiquement le Tzar.

Il s'agit de rentrer le plus vite possible à Gornograd pour expédier la famille impériale à l'abri à l'étranger, et surtout reprendre le contrôle des affaires.

Les négociations semblant avoir été correctement menées à terme, chacun des participants se félicita autour d'une coupe et de petits-fours
Il semblait que la Russlavie allait marcher d'un pas uni vers la République tant désirée...

Godinnik se rapprocha de son invité Gornogradois et luis adressa la parole:

- Stepan, je sais que la situation est particulière pour vous... Je ne sais pas comment vous pourrez y trouver votre intérêt, mais je pense que vous le ferez très bien... Pour l'heure je ne comprends pas très bien ni pourquoi ce pantin de Romanovsky est au poste de pilotage... Son expérience politique est nulle, ses ambitions sans grande envergure... Et de plus il ne bénéficiera jamais de soutiens forts et indéfectibles...

Puis après un soupir, et levant son verra pour trinquer avec Mai-Maïevski:

- Allons, buvons à la République et à la Nouvelle Russlavie, dont j'espère que vous saurez la comprendre... Et pour l'heure, hâtons-nous de rejoindre Gornograd et de nous mettre à la tâche! N'oublions pas qu'il reste un ennemi qui est notre point commun à tous: le clan monarchiste et ses factions armées: toutes les troupes de l'Union des Républiques Russlaves sont prêtes à la bataille auprès des autres formations visant à la destruction des Blancs!

Stepan répond d'un ton badin;

- Ah, que voulez vous Léonid Antonovitch, je n'ai guère le goût de la campagne, et je ne me voyais pas crapahuter dans la steppe en compagnie de ganaches tsaristes !

Voyez-vous, pour contrôler une locomotive lancée à pleine vitesse, il vaut mieux être dedans que dehors !

Méditant sur les propos acerbes de Godinnik à propos du Maréchal Romanovsky, il répond, d'un air pensif;

- Vous comme moi sommes des hommes de verbe, non d'action, Léonid Antonovitch. Nous donnons notre pleine mesure dans les débats de la Douma où les négociations du Palais Tchernilov. Nous avons perdu de vue que la parole n'est pas tout en ce pays; le Putsch de Gornograd nous l'a rappellé: en Russlavie, l'armée est une force qui compte en politique, et jamais elle ne suivra des gens comme vous et moi.

Les critiques que vous formulez contre Nikolaï Alexandrovitch sont justes, mais ce qui est amusant, c'est que sont ces mêmes traits de sa personnalité qui lui valent la loyauté de la troupe ! Celle-ci déteste les "politicards", les "phraseurs" bourgeois professionels, à côté desquels le Maréchal Romanovsky, étranger aux intrigues bytanzines, dénué d'ambition politique, auréolé de gloire, fait figure de sauveur du pays !

Stepan Iossifovitch conclut d'un ton sinistre:

Tout ceci pour dire que vous devez bien vous garder de sous-estimer le Duc d'Akanov. S'il manoeuvre bien, cet homme là pourrait bien parvenir à placer entre ses mains je ne sais quelle dictature républicaine...

Stepan reste un moment silencieux, comme méditant ses propres paroles, puis il frappe des mains sur la table, et annonce d'une voix forte et optimiste:

- Allons ! En route pour Gornograd ! Vous verrez, Léonid Antonovitch, ce train est un vrai palais mobile !

Délégation du Gouvernement Provisoire

Délégation du Gouvernement Provisoire

Re: Délégation du Gouvernement Provisoire

Re: Délégation du Gouvernement Provisoire

Re: Délégation du Gouvernement Provisoire

Re: Délégation du Gouvernement Provisoire

Re: Délégation du Gouvernement Provisoire

Re: Délégation du Gouvernement Provisoire

Re: Délégation du Gouvernement Provisoire

Re: Délégation du Gouvernement Provisoire

Re: Délégation du Gouvernement Provisoire

Re: Délégation du Gouvernement Provisoire

Re: Délégation du Gouvernement Provisoire

Re: Délégation du Gouvernement Provisoire

Re: Délégation du Gouvernement Provisoire

Re: Délégation du Gouvernement Provisoire

Re: Délégation du Gouvernement Provisoire

Re: Délégation du Gouvernement Provisoire

Re: Délégation du Gouvernement Provisoire