Arrivée de Karimova et Markov

Le général Bakhirev, ministre des affaires étrangères, se présenta de lui-même à l'ambassade valdisk. Entouré de sa délégation, il fit savoir qu'il était disposé à rencontrer la mission diplomatique étrangère. Bakhirev, conservateur bon teint, fervent constitutionnaliste, était l'un de ses hommes de pouvoir débauché par Golenichtchev dans le cadre de sa -timide- ouverture du régime vers le centre.

En patientant, l'homme se dit que la haine valdisk à l'égard d'Edoran devait être colossale pour que ceux-ci se déclarent amis et alliés de l'autocrate réactionnaire et impérialiste qu'était Golenichtchev.

Bakhirev ferma ses poings sous la table, seul signe de son bouillonnement intérieur. Il y avait une décision lourde de conséquences à prendre, à la seule portée du chef. Après une suspension dans les discussions, la conversation reprit dans l'après-midi. Cette fois-ci Golenichtchev était présent. Le pas lourd, la poigne de main puissante, le regard fermé, il s'assit un instant, comme en proie à une intense réflexion.

Assurément, les Valdisks étaient sensibles au sort des Slaves. Ils étaient donc Valdisks avant d'être merksistes. Une donnée qu'on ne devrait jamais ignorer à l'avenir. Néanmoins, les véritables raisons de ce soutien inattendu résidaient ailleurs. Certes, les Valdiks rêvaient de damer le pion aux odieux Edoranais, mais ils nourrissaient surtout le projet de réintroduire le merksisme en Russlavie.
Que les Valdisks osent soumettre cet invraisemblable desiderata avait profondément agacé Golenichtchev. Inoculer à la Russlavie ce poison mortel qui avait juré d'abattre le Tsar et tout ce que réprésentait Golenichtchev était invraisemblable. Néanmoins, il avait besoin de l'aide valdisk. Tôt ou tard, l'armée édoranaise, mieux équipée, mieux formée, mieux commandée et surtout adossée à une économie infiniment plus puissante, l'emporterait sur l'armée russlave qui n'avait pas su jouer pleinement de l'effet de surprise. Bref, Golenichtchev n'avait pas le choix, les Valdisks l'avaient compris. Eux seuls pouvaient changer la donne militaire pour le moment, d'où la démesure de leurs exigences.

Il scruta un instant ses interlocuteurs, les sondant puissamment du regard, les laissant vaguement gênés. On jouait ici un formidable jeu de dupes. Golenichtchev s'était promis d'affranchir la Russlavie des jeux géopolitiques de ses voisins, il échouait sur toute la ligne, pour le moment.

Certes, il ferait bonne œuvre pour l'église.  Rétablir le culte en Valdisky, même s'il serait terriblement encadré et noyauté par Maskva serait vu comme un tour de force extraordinaire.

Il fit glisser un papier à Lionidze.

Vous contrôlerez et manipulerez le PMLR. Vous n'en rendrez compte qu'à moi seul et vous en répondrez de votre vie.

Le Généralissime accorda un bref regard à son féal pour s'assurer qu'il comprenait les sous-entendus. Après quoi, il reprit, à l'égard des Valdisks.

- Messieurs, récapitulons. Pour nous : légalisation du PMLR, reprise des relations. Pour vous : ratification du traité d'Arzamozate, rétablissement du culte cathodoxo-orthodique  et de l'UCZ. Puis, dans un premier temps, soutien actif de votre flotte pour entamer le blocus d'Edoran. Sommes-nous d'accord ?

Golenichtchev fronça les sourcils.

- L'accord me convient mais qu'entendez-vous par la mobilisation des milices ouvrières ? Nous n'en avons pas besoin, nous avons une armée professionnelle. Nul besoin de recourir à la conscription.

Sans mentionner l'échec du raid aérien en Francie, il continua :

- Excellent ! Ces équipements nous seront fort utiles ! Nous saurons nous en souvenir même si nous resterons discrets...