2ème législature de 1919 : Loi d’abogation du kraï livadien

Une certaine tension mêlée à de l’expectative régnait depuis le début de semaine au sein de la Douma. Le président réélu de l'assemblée, Mikhaïl Demenko, avait inscrit à l’ordre du jour le débat d’une loi abrogeant le kraï de Livadia. Si la nouvelle n’était pas une surprise – de nombreux élus PTR ayant ouvertement fait campagne pour sa dissolution – c’était le moment choisit qui en interrogea plus d’un.

Le texte avait en effet priorité sur les engagements de campagne du gouvernement Korpanov, qui aurait certainement préféré débuter cette seconde législature travailliste par la poursuite de grandes réformes économiques et sociales. Mais d’irréductibles députés, au nombre de cinq, membres de l’aile gauche de la majorité, avaient éludé avec brio le règlement intérieur pour déposer la proposition de loi.

Iraklion Dmitrievitch Menchikov, représentant une circonscription transvalaque depuis la première percée de la gauche radicale désorganisée en Janvier 1918, fut l’un de ceux chargés de déposer et défendre le texte.

Loi abrogeant la loi du 3 mai 1918 portant sur le kraï de Livadia

Article 1 – De l’abrogation de la loi constituant le kraï de Livadia

La loi du 3 mai 1918, intitulée ' Loi sur l’instauration du kraï de Livadia ', est abrogée. Ses dispositions sont considérées comme nulles et non avenues.

Article 2 – De la concession des terres livadiennes au gubernya d’Orient

L’ensemble de la contrée historique de Livadia est cédé au gubernya d’Orient en tant que partie intégrante et constitutive de la province et par conséquent de la nation russlave.

Article 3 – De la confiscation des avoirs de la Maison de Livadia

Le domaine personnel, les propriétés, le trésor et la totalité des avoirs de la Maison de Livadia en Russlavie sont confisqués par l’État russlave, lequel versera à la famille de Ostermann-Ivanovitch la juste compensation de 3 millions de roubles russlaves.

Article 4 – De l’appel de la Douma au tsar à révoquer la noblesse livadienne

La présente Douma appelle Sa Majesté le Tsar Mikhaïl II à révoquer l’Oukaze du 3 mai 1918 portant sur l'élévation nobiliaire de Jakob Ostermann-Ivanovitch et à ne conférer aucun titre aux membres de la Maison de Livadia.

Plouf ! Les députés travaillistes venaient de lancer un pavé dans la mare. Les kadets se trouvaient désormais en position inconfortable. Et quelle défense du kraï oseraient brandir les junkers ?

Boris Gurnostaï, homme de main du Grand-Duc, entra discrètement à l'intérieur de la Douma sans se faire voir. Il était un habitué de l'endroit, le Grand-Duc lui faisait souvent faire parvenir des messages à des députés.

Après quelques palabres et un billet bien glissé dans la poche d'un garde de sécurité, il se glissa lentement jusqu’à Vanins et lui glissa un bout de papier. Aussitôt le colis en main, celui-ci disparu aussi rapidement.

Le député junker Alexandre Petrovitch Izvolsky, ancien ministre des affaires extérieures du dernier gouvernement Andronikov, se leva pour exprimer la position du PIR. Curieusement, la faction réactionnaire du parti s’était refusée à prendre la parole la première. Le PIR n’était pourtant pas unanime sur la question de Livadia : son unité de façace contre la dissolution du kraï cachait en réalité des sentiments plus mitigés qu’il convenait cependant de ne point exprimer en public. Désavouer le tsar était un sujet encore hautement tabou au sein des fervents soutiens au régime.

Izvolsky : " Monsieur le président Demenko, monsieur le président Korpanov, messieurs les membres du Conseil, messieurs les députés…

Le PIR s’interroge sur le fond et la forme de cette proposition de loi.

La forme, parce que ce texte est soumis à la Douma alors même que viennent de s’achever sur un échec tonitruant les négociations de reconnaissance mutuelle entre l’état croupion de Livadia et la Sainte Russlavie. La presse affirme que le plénipotentiaire livadien se serait retiré devant l’indécision de nos négociateurs. Nous savions le gouvernement travailliste incapable de mener une politique étrangère digne de ce nom, mais échouer à signer un traité de cette veine, avec un pays si lointain et inoffensif… Je crois bien n’avoir jamais vu de pareille incompétence.

Alors soit, je conviens qu’il ne s’agisse pas d’un projet de loi, mais d’une proposition de certains députés de la majorité. Le gouvernement n’en est donc en principe pas l’initiateur. Mais toute de même ! Tenez un peu mieux vos députés, monsieur le président Korpanov ; l’État russlave risque de doubler ses torts d’un affront. Et par n’importe lequel, un affront international !

Quant au fond de l’affaire, je ne vois là qu’un recueil de rancunes. La saisie des avoirs d’une Maison étrangère régnante, doublée à une extorsion s'élevant à plusieurs centaines de millions de roubles que l'on légaliserait ? L’appel insultant au tsar à casser ses propres oukazes ? Ah, mais quelles priorités ! Le PTR est encore obnubilé par la prodigieuse dérouillée que les livadiens et les Forces Blanches infligèrent aux merksistes en Orient. "

Des huées retentirent des bancs travaillistes.

Izvolsky : " La vérité blesse, chers collègues. Quand cesserez-vous de vivre dans le passé ? De ressasser les périodes douloureuses de notre histoire ? Ce revanchisme est d’autant plus mal placé qu’il ne vous sied guère. Pour sa part, le PIR demande à ce que la majorité se ressaisisse et pivote sur les questions essentielles du pays. Les dernières émeutes à Svetivostok portant sur le prix du blé, par exemple. Voilà un sujet autrement plus important et méritant l’action immédiate de cette assemblée. Et non pas votre acharnement contre un tigre de papier !

Pour toutes ces raisons, notre groupe se prononcera résolument contre ce texte. "

Le député se rassit sous les sifflets et gestes obscènes de la gauche radicale.

Nikita avait écouté avec dédain le discours ronflant et ennuyant d'un député du PIR. Évidemment, la réaction était disproportionné vis à vis du dépôt de cette loi. Or, depuis maintenant 6 mois que les Travaillistes étaient au pouvoir et pourtant rien de sortait réellement de bon , sauf peut-être bien le code du travail qui était une certaine avancé. Il fallait que le PTR gagne des points dans les sondages, ce qui n'était pas gagné au vu de l'extraordinaire absence de Korpanov. Sans chef, les députés sans donnaient à coeur joie et se ridiculisait à la Douma. La plupart de ces députés étaient encore vert et ne connaissait pas grand chose à la politique, mise à part leurs idéaux fantasmés dans un monde de licorne.

Scandale! Scandale! s'écria Nikita. Nous allons montrer à la face du micromonde que la Russlavie est plus unifié que jamais, que son gouvernement et ses députés du PTR se rangent tous derrière son chef Korpanov et que nous bloquerons toute tentative de sécession à l'avenir à grand coup de canon!

Les députés du PTR tapèrent bruyamment sur leur bureau en guise d'approbation. Une belle bande de singe civilisé.

Pour ce qui est de la révolte du blé de Svetivostok, elle a été causé par votre incompétence alors que vous étiez au gouvernement. Le parti Travailliste n'aurait jamais osé affamer son peuple. Le bien-être des citoyens est bien plus important que la profondeur capitalistique de vos poches mercantilistes. Vous, représentant du PIR, avez été capable du meilleur comme du PIRE! ce à quoi les députés travaillistes applaudirent le jeu de mot à 2 balles.

Comme à l’accoutumé dans une législature sans majorité absolue, c’était aux kadets que revenait la responsabilité ultime de faire péricliter les lois présentées par le PTR ou d’au contraire trouver un arrangement satisfaisant la plupart des sensibilités. Les kadets partageaient la méfiance et le scepticisme des travaillistes envers les intentions de la " nouvelle " Livadia, mais sans pour autant se constituer prisonniers des douloureux aléas du passé au point d’éprouver une exécration aveuglante pour l'état successeur de la principauté.

Boris Ouvelshko : " Monsieur le président Demenko, le groupe PCD présente l’amendement suivant :

Amendement n°2 de la Loi abrogeant la loi du 3 mai 1918 portant sur le kraï de Livadia

Loi abrogeant la loi du 3 mai 1918 portant sur le kraï de Livadia

Article 1 – De l’abrogation de la loi constituant le kraï de Livadia

La loi du 3 mai 1918, intitulée ' Loi sur l’instauration du kraï de Livadia ', est abrogée. Ses dispositions sont considérées comme nulles et non avenues.

Article 2 – De la concession des terres livadiennes au gubernya d’Orient

L’ensemble de la contrée historique de Livadia est cédé au gubernya d’Orient en tant que partie intégrante et constitutive de la province et par conséquent de la nation russlave.

Article 3 – De la confiscation des avoirs de la Maison de Livadia Des réparations de guerre au bénéfice du peuple russlave

Le domaine personnel, les propriétés, le trésor et la totalité des avoirs de la Maison de Livadia en Russlavie sont confisqués par l’État russlave, lequel versera à la famille de Ostermann-Ivanovitch la juste compensation de 3 millions de roubles russlaves.

Les avoirs non-immobiliers de la Maison de Livadia sont saisis et liquidés par l’État russlave. Les bénéfices de cette vente seront consacrés aux communes du gubernya d'Orient ravagées par la guerre.

Article 4 – De l’appel de la Douma au tsar à révoquer la noblesse livadienne

La présente Douma appelle Sa Majesté le Tsar Mikhaïl II à révoquer l’Oukaze du 3 mai 1918 portant sur l'élévation nobiliaire de Jakob Ostermann-Ivanovitch et à ne conférer aucun titre aux membres de la Maison de Livadia.

Cet amendement apporte un équilibre au texte, entre respect de notre histoire, des souffrances vécues par les russlaves d’Orient, et le refus à l’outrance démagogique qui ne ferait qu'aliéner un état en recherche de reconnaissance internationale. "

La suspension de séance achevée, les élus retournèrent dans l’hémicycle. Les députés kadets et junkers ne semblaient pas faire montre de grand enthousiasme. Quant aux travaillistes, une certaine déception se lisait sur le visage des plus partisans, le gouvernement ayant indiqué son soutien au compromis de l’opposition centriste.

Mikhaïl Demenko : " Messieurs, la période des débats est achevée. Le vote sur la proposition de loi de monsieur Menchikov, comme amendée par monsieur Ouvelshko, est désormais ouvert. "

Les députés exprimèrent leur suffrage à main levée. L’issue du scrutin ne faisait que peu de doute.

Ouvelshko avait vu juste : l’ensemble des travaillistes se prononcèrent en faveur de la loi.

Mikhaïl Demenko : " A 75 voix pour et 25 voix contre, la proposition de loi est adoptée. La séance est levée. "

Il n’en restait pas moins que de nombreux députés du PTR se sentirent lésés. A nouveau, le gouvernement s’était incliné devant les exigences des kadets. Les livadiens ne subiraient que quelques saisies bancaires, l’Orient ne récolterait au final que des clopinettes. Personne ne croyait véritablement que le modéré Korpanov ordonnerait une descente policière sur l’ambassade officieuse du Grand Royaume.

Alors que les bancs de l’hémicycle se vidaient, le jeune travailliste radical Valentin Morozov, regrettant déjà son vote arraché sous la pression de ses ainés, resta seul, le visage crispé par la capitulation, la trahison pensa-t-il en vérité, de sa majorité. Le Conseil s’était embourgeoisé et il n’y avait plus rien à attendre de ministres se refusant à démanteler l’ordre établi. Il fallait agir, renverser la vapeur, et vite. Le jeune homme se leva, les poings serrés ; sa décision était prise et nul ne l’en dissuaderait.