2e législature de 1919 : Question au gouvernement

Le prince Andronikov, malgré plusieurs mois d'éloignement, un cacique du parti conservateur, officiellement peut-être même son président. Les junkers n'en savait trop rien ; à moins que cela ne fut le prince de Mourvensk. Son idylle avec une princesse de la maison impériale, le temps qu'il avait pris pour fonder un foyer et remettre en ordre ses affaires, autant que l'arrivée au pouvoir des travaillistes, l'avaient éloigné de la vie politique. Son mariage avec la princesse Ioulia, fille de Konstantin Ier, avait fait de lui, bâtard d'un prince de Russlavie, le cousin par alliance du Tsar. Il revenait sur la scène politique, plus nationaliste que jamais. Aussi avait-il applaudit au rattachement du Kraï de Livadia, tout comme à la séquestration des biens immobiliers de la famille princière déchue. L'attentat contre le Tsar l'avait rendu inconsolable ; en même temps qu'il l'avait rapproché du trône, faisant porter l'avenir de la Couronne russlave sur les épaules de son beau-frère, l'excentrique Wolodymir dont tous savaient qu'il avait un goût prononcé pour les robes. Pour sa part Andronik préférait l'uniforme. Celui d'officier de la marine impériale dont il était issu. Néanmoins dans l'assemblée, il portait l'habit civil des députés de la Nation.

Il tenait dans ses mains une publicité krasslandaise :

Spoiler:

- Monsieur le Premier Ministre,

La société krasslandaise du Kanal Transkontinental fait un profit immense sur le dos des citoyens russlaves. Notre état perçoit-il des droits de passage pour la portion de territoire russlave empruntée par le tunnel ? Si non, le gouvernement entend-il y mettre bon ordre ? Si oui, à combien sont-ils fixés ? L'Etat a-t-il des parts dans l'actionnariat de la société ?

Au sein de la Douma, l’agitation régnait. La rumeur courait que des troupes irrégulières suspectes s’assemblaient en Murasovie. Certains les disaient s’amassant juste au sud de l’oblast, d’autres assuraient qu’elles menaient des razzias aux frontières kraïennes avec la bénédiction des seigneurs inféodés locaux. Pis, l’Armée, et particulièrement les régiments de cavalerie et de blindés, semblaient trainer des pieds et les rapports télégraphiques se faisaient à la fois rares et contradictoires.

Pourtant, dans ce contexte de déliquescence de l’autorité centrale, complétée par l’alitement du Président du Conseil pour flémingite aigüe, le ministre Anton Vasilienko se présenta à chaque séance de la Douma, prêt à répondre aux questions et conserver l’apparence d’un gouvernement tenant encore les manettes du pays.

Vasilienko : " Le camarade Andronikov... " dit-il en appuyant sur l’épithète incongrue pour un homme de la qualité du prince " ... fait bien de rappeler que le Krassland n’a pas attendu la ratification du traité d’Arzamozate par notre apprécié voisin, le Valdisky, pour soutirer les gains de nos armateurs.

Le camarade Andronikov sera sans doute heureux d’apprendre que, en réponse à la politique de la société Transkontinental Kanal, le Conseil étudie non seulement la mise en œuvre du traité, mais aussi le percement de points de contrôle douaniers et de rades commerciales dans les montagnes atropatèniennes. Les fonds collectés seront reversés aux armateurs à la hauteur des droits d'entrée payés au Krassland, et les bénéfices résiduels attribués à l’État. Le montant des prélèvements sera indexé sur les prix du Transkontinental Kanal, de façon à ce que nos armateurs ne soient jamais lésés et que le Krassland ne puisse se lancer dans une spirale des prix sans engendrer un effondrement du trafic maritime dans la Crassemer.

Le camarade Andronikov peut donc être rassuré : le Conseil veille au grain. "

En se rasseyant, le ministre ne réalisa pas l’inquiétude se lisant sur le visage de nombreux travaillistes. Leur esprit était ailleurs, occupé par ce qui ressemblait un peu plus chaque heure à une conjuration latente.