- Le Vigilant
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Date d'inscription : 21/04/2009
LE VIGILANT - DANS L'ENFER DE PORT-BANANE II
Mer 13 Mai 2015 - 18:21
LE VIGILANT
"Contre la franc-charpenterie, la liberté d'informer"
Dans l’enfer de Port-Banane (deuxième partie)
Placide Persévérance, notre reporter
C’est avec mon sang que j’écris ce billet, dans la pénombre et la puanteur moite de la chiourme où j’ai été jeté. J’ignore si mon écriture sera lisible, car je ne puis me servir de ma main droite, qui a été brisée à coup de maillets par mes gardiens. Tout à l’heure, à la nuit tombée, je glisserai ce billet par le soupirail à l’enfant perdu qui m’a promis ce matin de le délivrer à un marchand noordzeelandais de ma connaissance, afin qu’il le transmette à la rédaction du Vigilant. Mon sort est entre les mains de ce garçon, et je prie les dieux qu’il mène sa mission à bien. Je ne veux pas mourir dans cette immonde geôle.
Tout a commencé quand je suis arrivé à Sucreville, ma ville natale.
Après avoir débarqué à Port-Banane City, je croyais avoir vu le pire. Je me trompais. Sucreville, la perle provinciale de la République, le bastion du True Banana Party et des gentlemen-planteurs, est devenu un enfer sur terre. Le dictateur Juanito Edorano a fait payer cher aux Sucrevillois leur fidélité à la République et à la liberté. Appuyant son joug despotique sur des bandes d’anciens saisonniers équipés de fusils de marque edoranaise, le dictateur a fait de Sucreville l’exact opposé de ce qu’elle était avant, son miroir infernal.
Ainsi, les propriétaires ont été expulsés de chez eux, et leurs maisons sont désormais la propriété d’octoroons qui hier encore labouraient nos champs et cueillaient notre coton. Les misses de Sucreville, dont le raffinement et l’élégance rendaient jalouses toutes les femmes du Micromonde, ont été jetées dans d’infâmes bordels où une populace hirsute et illettrée assouvit ses plus bas instincts sur la fleur de la gente féminine port-bananienne. Les propriétés de la Corporation Fruitière ont été nationalisées, et son siège a été reconverti en école primaire où, sans nul doute, la dictature accomplit son travail de propagande libérale dès le plus jeune âge. L’école des cadets git à présent abandonnée, depuis le soulèvement raté des cadets en 1913. Les rares survivants se meurent à présent dans les mines de sel que des spéculateurs edoranais ont ouvert dans le nord de l’île. Les rues sont dépavées, les façades délabrées, les églises ravagées.
Complètement abasourdi, arpentant les rues de Sucreville au hasard de mes sordides découvertes, je ne m’aperçois pas que mes pas m’ont guidé jusqu’à la place Humphrey Homme-Libre, sur laquelle se dresse fièrement l’archi-cathédrale de Sucreville.
Ou devrais-je dire : se dressait. A présent, les portes gisent béantes, les vitraux fracassés, le toit à moitié effondré. Et, pire que tout, l’immense goupillon d’or symbole de notre foi a été remplacé par… le symbole de la foi syiste ! L’outrage et la tristesse que je ressent sont sans bornes.
A la vue de la profanation de cet haut lieu de culte où je me suis marié, le désespoir m’envahit et je demeure paralysé, la bouche béante, les yeux écarquillés. Je demeure immobile un peu trop longtemps, et je fini par attirer l’attention de la silhouette qui se tient dans l’embrasure des portes de l’archi-cathédrale.
L’homme s’approche, l’air suspicieux, et je réalise avec horreur que je le connais ! Il s’agit d’Etienne Frelaté, un ancien domestique de notre propriété que mon père renvoya après qu’il eut été pris en train de s’enivrer pendant le travail. Je n’en crois pas mes yeux : ce bon à rien est vêtu d’une robe de prêtre syiste !
Tout a commencé quand je suis arrivé à Sucreville, ma ville natale.
Après avoir débarqué à Port-Banane City, je croyais avoir vu le pire. Je me trompais. Sucreville, la perle provinciale de la République, le bastion du True Banana Party et des gentlemen-planteurs, est devenu un enfer sur terre. Le dictateur Juanito Edorano a fait payer cher aux Sucrevillois leur fidélité à la République et à la liberté. Appuyant son joug despotique sur des bandes d’anciens saisonniers équipés de fusils de marque edoranaise, le dictateur a fait de Sucreville l’exact opposé de ce qu’elle était avant, son miroir infernal.
Ainsi, les propriétaires ont été expulsés de chez eux, et leurs maisons sont désormais la propriété d’octoroons qui hier encore labouraient nos champs et cueillaient notre coton. Les misses de Sucreville, dont le raffinement et l’élégance rendaient jalouses toutes les femmes du Micromonde, ont été jetées dans d’infâmes bordels où une populace hirsute et illettrée assouvit ses plus bas instincts sur la fleur de la gente féminine port-bananienne. Les propriétés de la Corporation Fruitière ont été nationalisées, et son siège a été reconverti en école primaire où, sans nul doute, la dictature accomplit son travail de propagande libérale dès le plus jeune âge. L’école des cadets git à présent abandonnée, depuis le soulèvement raté des cadets en 1913. Les rares survivants se meurent à présent dans les mines de sel que des spéculateurs edoranais ont ouvert dans le nord de l’île. Les rues sont dépavées, les façades délabrées, les églises ravagées.
Complètement abasourdi, arpentant les rues de Sucreville au hasard de mes sordides découvertes, je ne m’aperçois pas que mes pas m’ont guidé jusqu’à la place Humphrey Homme-Libre, sur laquelle se dresse fièrement l’archi-cathédrale de Sucreville.
Ou devrais-je dire : se dressait. A présent, les portes gisent béantes, les vitraux fracassés, le toit à moitié effondré. Et, pire que tout, l’immense goupillon d’or symbole de notre foi a été remplacé par… le symbole de la foi syiste ! L’outrage et la tristesse que je ressent sont sans bornes.
A la vue de la profanation de cet haut lieu de culte où je me suis marié, le désespoir m’envahit et je demeure paralysé, la bouche béante, les yeux écarquillés. Je demeure immobile un peu trop longtemps, et je fini par attirer l’attention de la silhouette qui se tient dans l’embrasure des portes de l’archi-cathédrale.
L’homme s’approche, l’air suspicieux, et je réalise avec horreur que je le connais ! Il s’agit d’Etienne Frelaté, un ancien domestique de notre propriété que mon père renvoya après qu’il eut été pris en train de s’enivrer pendant le travail. Je n’en crois pas mes yeux : ce bon à rien est vêtu d’une robe de prêtre syiste !
Etienne Frelaté, avant son ordination
Je ne peux détacher mon regard de son odieux visage, et l’inévitable arrive : le sourire cauteleux de prêtraillon qu’il arbore s’évanouit progressivement alors qu’il me reconnait. La seconde d’après, son énorme bouche s’ouvre démesurée et il hurle de tous ses poumons :
- Ala’m ! He enemy of da people ! Send fo’ da guard ! I gotta Tru Bananian right here !
Sans réfléchir, je tourne les talons et cours à toute jambe, tandis que j’entends des cris et des bruits de course derrière moi. Je cours comme un dératé, m’orientant de mémoire dans les rues de Sucreville. J’entends soudain des coups de feu : me retournant, je vois que Frelaté me poursuit avec à sa traine une demi-douzaine de miliciens. Grâce aux dieux, ils visent comme des pieds. Mon abonnement au club de gymnastique zollernoise de Gornograd se révèle utile, et je les distance rapidement, non sans sentir une balle frôler mon cuir chevelu. Arrivé à la limite de la ville, je me jette en direction de la jungle toute proche qui enserre Sucreville comme une couronne d’émeraude.
Alors que des coups de feu retentissent encore dans mon dos, je m’enfonce dans la jungle. La nuit tombe, mais je connais ces lieux depuis ma tendre enfance, et je sais où je vais : à quelques verstes d’ici, en direction de l’ouest, se trouve la plantation de ma famille. Si ma femme et mes enfants sont encore en vie, je les trouverai sur ce domaine qui a fait la prospérité de mes pères et nous a donné tant de plaisir et de joie.
La nuit tombe, mais je ne peux m’arrêter, car de loin en loin, j’entends les aboiements des chiens et je voix le rougeoiement des flambeaux de mes poursuivants. Ils sont derrière moi.
- Ala’m ! He enemy of da people ! Send fo’ da guard ! I gotta Tru Bananian right here !
Sans réfléchir, je tourne les talons et cours à toute jambe, tandis que j’entends des cris et des bruits de course derrière moi. Je cours comme un dératé, m’orientant de mémoire dans les rues de Sucreville. J’entends soudain des coups de feu : me retournant, je vois que Frelaté me poursuit avec à sa traine une demi-douzaine de miliciens. Grâce aux dieux, ils visent comme des pieds. Mon abonnement au club de gymnastique zollernoise de Gornograd se révèle utile, et je les distance rapidement, non sans sentir une balle frôler mon cuir chevelu. Arrivé à la limite de la ville, je me jette en direction de la jungle toute proche qui enserre Sucreville comme une couronne d’émeraude.
Alors que des coups de feu retentissent encore dans mon dos, je m’enfonce dans la jungle. La nuit tombe, mais je connais ces lieux depuis ma tendre enfance, et je sais où je vais : à quelques verstes d’ici, en direction de l’ouest, se trouve la plantation de ma famille. Si ma femme et mes enfants sont encore en vie, je les trouverai sur ce domaine qui a fait la prospérité de mes pères et nous a donné tant de plaisir et de joie.
La nuit tombe, mais je ne peux m’arrêter, car de loin en loin, j’entends les aboiements des chiens et je voix le rougeoiement des flambeaux de mes poursuivants. Ils sont derrière moi.
(A suivre)
Note de la rédaction
Le présent billet nous est parvenu sous la forme de ce qui est manifestement du cuir de chèvre, sur lequel ont été tracés des lignes sombre d’une écriture extrêmement difficile à lire. Il s’agit là d’une manière hautement fantaisiste et fort peu professionnelle de rédiger un article, ce qui confirme de toute évidence les craintes de la rédaction du Vigilant : notre collaborateur Placide Persévérance, que nous pensions parfaitement civilisé, s’est laissé gagné par les mœurs « détendues » de son pays natal. Nous espérons que son prochain billet reviendra à la hauteur des standards d’excellence auxquels il nous a habitué.
Priap Kassianytch Rioumine,Rédacteur-en-chef
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