Formation du gouvernement

Dans la salle du Conseil, qui récemment accueillait encore les dignes ministres travaillistes, une demi-douzaine d'hommes en uniforme étaient penchées autour du général I.G. Karpov, désigné scribe, affairé sur une feuille de papier qui portait l'en-tête "Korpanov, Président du Conseil". On  trouvait là, pêle-mêle, l'aide-de-camp du Colonel comte Stroganov, l'aide-de-camp de Pojarski, un ou deux juristes du Ministère de la Guerre, un colonel de l'Okhrana, un amiral de la Flotte, et deux trois autres officiers portant l'uniforme de la Garde. Cette clique d'officiers était, tout simplement, en train de composer le futur gouvernement de toutes les Russlavies.

- Qu'est ce que je mets comme titre ?, demandait Karpov, Gouvernement de Salut National ? Gouvernement d'Union Patriotique ?

- Laisse ça au chef, il décidera, répondit l'aide-de-camp de Stroganov.

Karpov acquiesça, et d'une écriture étonnamment élégante pour un homme de sa corpulence, entrepris de ramasser, en quelques lignes, l'essentiel des tractations qui venaient d'avoir lieu:

Composition du gouvernement de ...

Président du Conseil / Chef de la Junte: Colonel Comte Vassili Gavrilovitch Stroganov

Intérieur et  Justice: Ostromourov ? Vashilsine ? Un affidé de Stroganov en tout cas

Okhrana: Colonel Baron Frederick Lionidzé

Guerre et Marine: Colonel Prince Feodor Vassilievitch Pojarski

Affaires Etrangères: Baron Pavel Isaakievitch Stempel

Phynances, etc.: Brasnov ? Ce dégénéré d'Andronikov ? Un Kadet de droite, comme idiot utile ?

Revenant d’une brève conversation téléphonique, l’aide de camp de Stroganov compléta la liste du général Karpov.

Officier : " Ostromourov à l’Intérieur et Justice, Sternberg à l’Économie et Finance.

Messieurs, nous voilà face à un tournant de l’Histoire… Que chacun sache s’en montrer digne et escompte offrir de sa personne à la Mère Patrie. "

La Russlavie n’avait pas vu gouvernement plus aristocratique depuis des années. Le signal était sans équivoque et ne pouvait qu’emballer la coalition mouvementiste : le pays se lançait de bout en bout dans l’aventure réactionnaire et militariste. Les quelques rares civils au Conseil devaient rassurer la machine administrative, mais la réalité du pouvoir s’exercerait d’une part par le truchement du souverain, puis d’un Conseil d’État élargi, lequel se confondrait désormais avec la Junte et l’état-major interarmées.