Palais Sveringoraï

Leonid Godinnik, éprouvé par cette semaine de folie constante, décida en cette soirée de se ressourcer au Palais Sveringoraï, lieu de résidence de ses ancêtres à la Cour des Tsar de Russlavie, là-même où il s'était installé lors de son retour en Russlavie après ses études à l'étranger.

Il était épuisé. Traverser la ville qui connaissait le couvre-feu n'avait pas été facile, son véhicule personnel avait été contrôlé plusieurs fois... Qu'importe, c'était là une preuve de la fermeté des mesures policières imposées par le Ministère.

Une fois dans le salon de ses appartement privés, Leonid s'assit devant la cheminée ou un feu se consumait. Dans son fauteuil bergère importé de Rance il y avait de cela presque 300 ans, il se fit servir un verre de Muscat...

Il le but lentement, repensant aux évènements de la semaine écoulée. Avoir accepté ce ministère avait été une promesse de difficultés et de travail continu, et la promesse était bel et bien tenue... mais c'était pour le bien de la Nation et Leonid pourrait s'endormir satisfait et heureux d'avoir lutté pour l'ordre et la justice...

Le Ministre se prit à écouter le bruit du balancier de la pendule ornant la cheminée et se laissa entraîner dans ses pensées les plus profondes...

La nuit avait été agitée, mais tout de même réparatrice pour le Prince qui n'avait pas dépassé quatre heures de sommeil par nuit depuis quelques semaines.

Aujourd'hui il devrait se rendre au Ministère, pour "l'affaire Richard Dorge", mais aussi au bureau du Premier Ministre pour ce même motif...

Sachant qu'il devrait aussi assister au procès devant la Cour Martiale Extraordinaire du Député Niviakov, il se sentait déjà vidé! Mais il n'y avait pas de repos dans la remise en marche de la Russlavie, et si les Ministres ne donnaient pas l'exemple, qui le donnerait...???

Il repensait au Ministre Szartyv, tragiquement décédé et qui allait lui manquer assurément...

Godinnik fit demander son manteau, son chapeau et prit donc le chemin d'une journée bien remplie...

En cette soirée, somme toute assez tranquille, Godinnik prit le temps de se pencher sur ses intérêts personnels et les implications de la famille dans l'économie... Depuis l'arrière grand-père maternel, Yaroslav Sveringoraï, et ses investissements dans des forges qui étaient devenues par la suite des lieux industralisés de la première heure, les Princes n'avaient pas considéré l'économie plus sérieusement.

Aujourd'hui, Leonid souhaitait s'impliquer dans l'économie de la Russlavie, mais d'une manière particulière: il voulait que son argent permette un développement certain tout en assurant l'égalité des chances...

Il pensait à créer une Fondation Sveringoraï, qui serait en quelque sorte un mécène du développement économique des catégories sociales dépourvues de la considérations des corporations bancaires et du Konsortium...

Lun 15 Sep 2008 - 10:26

Il faisait beau sur Gornograd ce matin du lundi. Leonid Godinnik avait été mis au courant dans la nuit de son élection. Il n'y croyait pas encore... Lui qui était dans l'opposition depuis deux ans, après une première participation au Gouvernement, voilà qu'il se retrouvait propulsé à la tête du Gouvernement... Pour lui ce poste ne devait pas être un lieu de commandement solitaire et personnel. Il espérait bien gouverner avec les autres ministres... Il espérait bien pouvoir mener une équipe qui ferait de la Russlavie - enfin - un état moderne et social...

Godinnik prit un déjeuner léger, puis fit préparer sa plus belle tenue... Ce matin, la première de ses actions consisterait à se présenter au Tsar... ce dernier était bien absent mais il restait malgré tout la tête de l'exécutif de Russlavie... Il fit avancer sa voiture personnelle et prit la route vers le Palais d'Hiver...

Godinnik lisait la presse du soir devant la cheminée qui crépitait. Depuis la proclamation du Salut Public et la prise de pouvoir d'un pantin militaire, le leader républicain et ex-Premier Ministre, tout comme les autres démocrates - semblait-il - avait dû accuser le coup en silence... Cette évolution était le résultat d'un imbroglio politique du "nouveau régime" par trop instable et voué à l'immobilisme...

Le Prince se sentait donc en bonne partie responsable de cette déculottée pour la démocratie en Russlavie... Mais après ce temps mort, sans doute nécessaire, il fallait désormais reprendre du poil de la bête... Godinnik décrocha donc son téléphone, donna un coup de manivelle puis demanda son interlocuteur:

- Bonjour, je souhaiterais parler à Kassian Pavlovitch Loughinine...

Dans le même temps que Godinnik était au téléphone, son secrétaire vint le prévenir du fait que, selon les ordres du Prince, la République de Svetivostok venait de faire parvenir le courrier annonçant la scission au Tsar...

Dès que sa conversation serait terminée Leonid s'empresserait de prendre incognito le premier train à destination de Svetivostok...

Kassian décroche le combiné depuis sa résidence principale, dans la proche campagne de Piter. Les communications sont défectueuses.

- Godinnik ! Da, j'ai lu les journaux, c'est une affaire bizarre !
Da, da, une junte à Gornograd... BZzz... pris la direction du Gouvernement... BZzz...
Résister? Impossible, la province de Piter-Orenbourg sombre dans le chaos... BZzz... Sécession, m'a-t-on dit... BZzz... Je n'ai pas une vision claire de l'ensemble, je ne peux agir immédiatement... BZzz...
Et vous, que faites-vous?

La communication était assez mauvaise mais suffisait à s'entendre et, espérait Leonid, à se comprendre...

- Bzzz... Et bien je regagne Svetivostok pour y proclamer une république Bzzz... qui deviendra la première de la Fédération de Russlavie... Bzzz Serez-vous avec nous dans ce projet? Bzzz... Prendrez-vous la tête d'une république russlave rejoignant la fédération? Bzzz...

- Navré Godi... BZzz... je ne prendrai pas la voie du séparatisme... BZzz
Au contraire, il faut réveiller les forces démocratiques nationales ! BZzz... La Mère Patrie, ce n'est ni un sceptre ni un faisceau de verges, mais une terre nourricière, un sang commun, un air mélodieux et une histoire ancestrale qui fait de nous les héritiers de la civilisation moraine... BZzz... Les démocrates ne sont pas des étrangers, Godinnik, ils sont Russlaves ! Il faut se battre pour nos droits, certes, mais aussi pour notre terre, car sinon, d'où viendrait notre pain?... BZzz... Décidez-vous à soutenir les nationalistes, Godinnik, si vous ne voulez pas perdre votre identité... BZzz...

Un serviteur fit irruption dans le bureau de Loughinine et le pressa de fuir. Les sbires du Grand-Duc encerclaient le domaine !

Godinnik fut assez abasourdi par cette réponse de celui qu'il avait fait amnistier après ses péripéties hors la loi...

Il ne comprenait pas la réaction de Loughinine, pou plutôt si: il voulait le pouvoir à lui seul, comme lors de ce coup d'état minable avorté... Et pour cela il prenait la voie du nationalisme, qui ne menait qu'aux extrêmes...

Leonid raccrocha son combiné qui n'émettait plus guère qu'un grésillement nasillard des plus incommodes et se dit que désormais il faisait cavalier seul en portant la casaque des lâches séparatistes...

De retour au Palais Sveringoraï après la parenthèse svetivostokoise, Léonid fut surpris par le chaos qu'il y trouva. Il ne faisait aucun doute que le palais avait souffert d'exactions diverses, variées et nombreuses. Populaires? Sans doute que non... Militaires? Peut-être bien... Rémunérées par les bourses des plus offrant et des plus intéressés, très sûrement!

Le portail donnant sur la rue avait été forcé et à moitié arraché tandis que dans la cour on pouvait voir pourrir les carcasses de deux chevaux qui étaient encore vivants dans les écuries avant les évènements d'avril. Des meubles jetés des fenêtres encore béantes dans les étages finissaient de prendre pluie et poussière, donnant à voir les haillons des vêtements arrachés par haine...

L'état intérieur du palais ne valait guère mieux, toutes les humiliations possibles avaient été envisagées, marbres brisés, lambris arrachés, planchers défaits latte après latte... Carreaux brisés... Dans ce décor Godinnik vit le personnel du Palais, moins nombreux, mais les plus fidèles étaient là, dont la vieille Elena qui, pleurant, dit à celui qu'elle avait partiellement élevé:

- Monsieur, voyez ce qu'ils ont fait à votre père, le pauvre Anton Yourévitch!

Elena, prise d'un sanglot encore plus long et plus abondant se recula et montra d'un doigt tordu par l'âge le portrait de Godinnik père peint lors de son ministère, couvert de matières fécales et les yeux crevés... Mais cela n'était pas tout, le comble de l'horreur pour Godinnik effaré fut atteint lorsque Olga se deplaca sur le côté, n'osant proférer aucun mot et laissant apparaître au regard de son maître le portrait dévasté de jan Bergman: déchiré, maculé de matières méconnaissables, il ne restait rien du visage doux et viril de l'amant de jeunesse qui portant était encore présent dans le coeur du maître de Svetivostok

Leonid ne put qu'être parcouru d'un spasme d'effroi... Comment cela était-il possible? Comment ses ennemis avaient-ils pu oser être aussi humiliants et irrévérencieux allant jusqu'à déshonorer les morts?

C'en était bien assez, le Vice-Président, puisque on lui avait donné ce titre pour l'acheter, allait chèrement faire payer tout cela... Et dans ce jeu de stratégie barbare il ne serait pas le pire, mais pas non plus le plus mauvais: ce titre il l'userait et ceux qui croyaient ainsi le museler avaient au contraite réveillé le loup qui sommeillait en lui...

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